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[Dossier] Placement de produit dans les séries : un flou réglementaire face aux réseaux sociaux ?

Le placement de produit est devenu une composante incontournable des œuvres audiovisuelles contemporaines. Que ce soit au cinéma, dans les séries télévisées ou les clips musicaux, l’intégration de marques et de produits à l’écran est une pratique courante. En France, cette pratique est encadrée depuis 2009 par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), qui autorise le placement de produit dans les œuvres cinématographiques, les fictions audiovisuelles et les clips musicaux, à condition de ne pas influencer le contenu éditorial et de ne pas inciter directement à l’achat.

Parallèlement, l’essor des réseaux sociaux a vu émerger une nouvelle catégorie de prescripteurs : les influenceurs. Ces créateurs de contenu, par leur proximité avec leur audience, sont devenus des vecteurs privilégiés pour les marques souhaitant promouvoir leurs produits. Cependant, face à certaines dérives et à un manque de transparence, le législateur français a adopté la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023. Cette loi vise à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les abus des influenceurs sur les réseaux sociaux, en imposant notamment une obligation explicite de signaler toute collaboration commerciale.​

Ce contraste réglementaire soulève une question centrale : pourquoi une telle différence de traitement entre les productions audiovisuelles traditionnelles et les créateurs de contenu sur les réseaux sociaux ? Quelles sont les conséquences de cette disparité pour le spectateur, en termes de perception et de confiance envers les contenus qu’il consomme ? Cette réflexion invite à analyser les fondements juridiques, économiques et culturels de ces régulations distinctes, ainsi que leur impact sur l’expérience du public.

Une pratique ancienne mais en pleine mutation

​Le placement de produit, pratique consistant à intégrer des marques ou des produits au sein d’œuvres audiovisuelles, est loin d’être une nouveauté. Dès la fin du XIXᵉ siècle, les frères Lumière incluaient déjà des références commerciales dans leurs films. Par exemple, dans leur court-métrage Embarquement, une caisse d’eau d’Évian est placée au premier plan, marquant ainsi l’une des premières occurrences de placement de produit au cinéma.

Embarquement, Frères Lumière

Au fil des décennies, cette pratique s’est intensifiée, notamment avec des exemples emblématiques comme le film E.T. de Steven Spielberg en 1982. Dans une scène clé, le jeune Elliott attire l’extraterrestre en lui offrant des bonbons Reese’s Pieces, ce qui a conduit à une augmentation significative des ventes de cette confiserie. 

E.T., la scène des Reese’s Pieces

Avec l’avènement des plateformes de streaming et la multiplication des productions indépendantes, le placement de produit a connu une évolution notable. Les créateurs cherchent désormais à intégrer les marques de manière plus organique et subtile, afin de financer leurs projets tout en enrichissant le récit. Cette tendance est particulièrement visible dans les séries diffusées en ligne, où les contraintes traditionnelles de diffusion sont moins présentes, offrant ainsi une plus grande liberté créative.​

Un exemple récent illustrant cette évolution est la saison 2 de Bref, diffusée sur Disney+ en février 2025. Après 14 ans d’absence, la série revient avec Kyan Khojandi et intègre de manière notable diverses marques telles que Burger King, UberEats, Fanta, Alpro, Adopt, Marionnaud et Bricorama. Ces placements sont parfois subtils, parfois plus évidents, ce qui a suscité des débats quant à leur impact sur l’authenticité du récit.

La question se pose alors : ces intégrations sont-elles des éléments naturels du décor reflétant la réalité quotidienne, ou bien s’apparentent-elles à de la publicité déguisée pouvant influencer la perception du spectateur ? L’équilibre entre financement nécessaire et respect de l’expérience narrative demeure un enjeu central dans l’utilisation du placement de produit à l’ère du streaming.​

Pour découvrir le premier épisode de la saison 2 de Bref, vous pouvez le visionner ci-dessous :

https://www.youtube.com/watch?v=_OymDvz34Pc

Un double standard entre productions audiovisuelles et influenceurs

​Le placement de produit est régi en France par des cadres juridiques distincts selon le média concerné. Cette distinction crée un double standard entre les productions cinématographiques et télévisuelles, et les créateurs de contenu sur les réseaux sociaux.​

Comparaison des obligations légales

Pour les influenceurs : La loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 encadre strictement l’activité des influenceurs sur les réseaux sociaux. Cette législation impose aux créateurs de contenu de signaler de manière explicite toute collaboration commerciale, en utilisant des mentions telles que « Publicité » ou « Collaboration commerciale », visibles pendant toute la durée de la promotion. Le non-respect de ces obligations peut entraîner des sanctions sévères, incluant jusqu’à deux ans d’emprisonnement et une amende de 300 000 euros

Pour les productions cinématographiques et télévisuelles : Le placement de produit est autorisé dans les œuvres cinématographiques, les fictions audiovisuelles et les vidéomusiques, à condition de ne pas porter atteinte à la responsabilité et à l’indépendance éditoriale de l’éditeur, de ne pas inciter directement à l’achat, et de ne pas mettre en avant de manière injustifiée le produit concerné. Les téléspectateurs doivent être informés de la présence de placement de produit au début et à la fin du programme, ainsi qu’après chaque interruption publicitaire, généralement par un pictogramme ou une mention discrète.

Raisons de cette différence

Plusieurs facteurs historiques et perceptuels expliquent ce double standard :

  • Héritage des modèles de financement traditionnels : Historiquement, le cinéma et la télévision ont intégré le placement de produit comme une source de financement complémentaire, permettant de soutenir la production tout en maintenant une certaine indépendance éditoriale. Cette pratique est ancrée dans les usages depuis des décennies, ce qui a conduit à une acceptation plus large et à une réglementation moins contraignante.​
  • Perception du placement de produit comme « moins direct » : Dans les productions audiovisuelles, le placement de produit est souvent perçu comme une intégration contextuelle, où les marques apparaissent en arrière-plan ou sont utilisées par les personnages, sans adresse directe au public. En revanche, les influenceurs s’adressent directement à leur audience, et leurs recommandations sont perçues comme des endorsements personnels, ce qui nécessite une transparence accrue pour éviter toute confusion entre opinion personnelle et contenu sponsorisé.​

Cette distinction réglementaire soulève des questions quant à l’équité et à la cohérence des obligations imposées aux différents acteurs médiatiques, et interroge sur l’impact de ces pratiques sur la perception et la confiance du public envers les contenus qu’il consomme.

Un levier stratégique… mais pas sans risques

​Le placement de produit est une stratégie marketing qui consiste à intégrer des marques ou des produits au sein d’œuvres audiovisuelles, telles que des films, des séries télévisées ou des vidéoclips. Cette pratique offre aux marques une opportunité unique de s’insérer de manière naturelle dans la culture populaire, en associant leurs produits à des personnages ou des situations spécifiques. Par exemple, le film « Seul au monde » (Cast Away) met en avant la marque FedEx, qui joue un rôle central dans l’intrigue, renforçant ainsi sa notoriété auprès du public. ​

Cependant, une surexposition ou une intégration maladroite des produits peut provoquer l’effet inverse et agacer les spectateurs. Des placements trop évidents ou forcés peuvent être perçus comme intrusifs, détournant l’attention de l’intrigue principale. Par exemple, dans le film « Man of Steel », la présence excessive de marques telles que IHOP et Sears a été critiquée pour son manque de subtilité, créant un « bad buzz » et affectant la réception du film.

Pour les productions audiovisuelles, le placement de produit représente souvent une source de financement indispensable. Les budgets de production étant parfois limités, les accords avec des marques permettent de compenser les coûts et de garantir une meilleure qualité de réalisation. Cependant, une intégration trop flagrante des produits peut nuire à la crédibilité et à l’intégrité artistique de l’œuvre. Un équilibre délicat doit donc être trouvé pour que le placement de produit serve l’histoire sans la dominer.​

Bien que le placement de produit soit un levier stratégique efficace pour les marques et une aide financière pour les productions, il comporte des risques. Une mise en œuvre subtile et cohérente est essentielle pour éviter de perturber l’expérience du spectateur et préserver l’authenticité de l’œuvre.

Vers une future réglementation unifiée ?

La réglementation du placement de produit varie significativement entre les médias traditionnels (cinéma, télévision) et les plateformes numériques, y compris les réseaux sociaux. Cette disparité a conduit à des discussions sur la nécessité d’une harmonisation des règles pour assurer une cohérence et une transparence accrues pour les consommateurs. Les défenseurs de cette harmonisation estiment qu’une réglementation uniforme permettrait de mieux protéger les spectateurs en leur offrant une information claire sur les contenus sponsorisés, quel que soit le canal de diffusion.​

Propositions ou discussions législatives en cours

Plusieurs initiatives législatives ont été entreprises pour encadrer le placement de produit et les pratiques publicitaires associées. En France, la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 vise à encadrer l’influence commerciale sur les réseaux sociaux, imposant aux influenceurs de signaler explicitement toute collaboration commerciale. Cette loi répond à la nécessité de protéger les consommateurs, notamment les plus jeunes, face aux nouvelles formes de publicité en ligne. ​

Par ailleurs, une proposition de loi déposée le 28 juillet 2020 vise à utiliser la publicité comme levier pour la transition écologique, en interdisant, à compter du 1er janvier 2023, le placement de produits à fort impact climatique dans les œuvres audiovisuelles.

Ces initiatives reflètent une prise de conscience législative quant à l’importance d’un encadrement adapté des pratiques publicitaires, tenant compte des évolutions technologiques et des nouveaux modes de consommation.​

Une évolution inévitable avec l’essor du streaming et des nouvelles formes de consommation de contenus

L’essor des plateformes de streaming et des réseaux sociaux a profondément modifié les habitudes de consommation de contenus audiovisuels. Cette transformation pose de nouveaux défis en matière de régulation du placement de produit. Les frontières entre les différents types de médias s’estompant, une harmonisation des règles apparaît de plus en plus nécessaire pour garantir une protection efficace des consommateurs et une concurrence équitable entre les différents acteurs du marché.​

Face à la diversification des supports de diffusion et à l’évolution des pratiques publicitaires, une réflexion approfondie sur l’harmonisation des réglementations relatives au placement de produit s’impose. Cette démarche viserait à assurer une transparence accrue pour les consommateurs et à adapter le cadre législatif aux réalités du paysage médiatique contemporain.

Conclusion

​Le placement de produit est une pratique publicitaire en pleine expansion qui suscite à la fois fascination et controverse. Son omniprésence dans les œuvres audiovisuelles modernes témoigne de son efficacité en tant qu’outil de marketing, mais elle soulève également des questions éthiques et esthétiques.​

D’un côté, le placement de produit offre aux productions cinématographiques et télévisuelles une source de financement non négligeable. Dans un contexte où les budgets sont souvent contraints, l’apport financier des marques permet de soutenir la création et de garantir une certaine qualité de production. Par exemple, le film « Minority Report » a bénéficié de 25 millions de dollars provenant de placements de produits, sur un budget total de 102 millions de dollars, illustrant ainsi l’importance de cette pratique pour le financement des œuvres. ​

Cependant, une intégration excessive ou maladroite des produits peut nuire à l’expérience du spectateur. Lorsque le placement de produit est perçu comme trop intrusif, il peut détourner l’attention de l’intrigue et affecter la crédibilité de l’œuvre. Un équilibre délicat doit donc être trouvé entre les besoins financiers des productions et le respect de l’intégrité artistique, afin de ne pas compromettre l’immersion et le plaisir du public.​

Face à cette réalité, il est essentiel de recueillir les perceptions des spectateurs concernant cette tendance. Comment ressentez-vous la présence de marques dans vos films et séries préférés ? Cela influence-t-il votre appréciation de l’œuvre ou votre perception des marques concernées ? Vos témoignages et opinions sont précieux pour alimenter ce débat et envisager des pratiques qui respectent à la fois les impératifs économiques des productions et les attentes du public.


Bibliographie

Sources académiques et expertes

  • Feireisen, S. (Professeure associée à MBS). Analyse du placement de produit et de la transportation narrative.
  • Koné, M. (Enseignante en marketing digital à l’IIM). Différences réglementaires entre placement de produit et contenus sponsorisés sur les réseaux sociaux.
  • Kovarski, O. (Professeur associé en Marketing à l’EM Normandie). Le placement de produit comme levier stratégique de communication pour les marques.

Cadre juridique et réglementaire

  • Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Réglementation du placement de produit en France. Disponible sur : csa.fr
  • Légifrance. Loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 sur l’encadrement des influenceurs et des pratiques commerciales en ligne. Disponible sur : legifrance.gouv.fr
  • Assemblée Nationale. Proposition de loi visant à interdire le placement de produits à fort impact climatique dans les œuvres audiovisuelles. Disponible sur : assemblee-nationale.fr

Études de cas et exemples de placement de produit

  • HubSpot Blog. Analyse des placements de produits marquants au cinéma et à la télévision. Disponible sur : blog.hubspot.fr
  • Screen Rant. Les pires placements de produit au cinéma selon les spectateurs. Disponible sur : screenrant.com

La Grande Bibliothèque du Droit (LGBD). L’importance financière du placement de produit dans les productions cinématographiques. Disponible sur : lagbd.org

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