Marseille : une série en mousse (of Cards) (de tarot)

télé pilotBon. Énormément d’encre a coulé à propos de Marseille, la première série franco-française de Netflix. Écartons de suite le problème : la série de Dan Franck et Florent Emilio-Siri n’est pas bonne. Voilà. Elle n’est pas non plus aussi moisie (même si elle l’est tout de même beaucoup) que ce que la presse francophone a dit. Mais plongeons dans le Vieux Port, et étudions un petit peu ce pilote de Marseille. Suivez-moi cong !

Donc Marseille nous plonge dans la mairie de Marseille, à travers les yeux d’une secrétaire administrati…non, bah non, je suis con. Donc nous suivons Robert Taro (Depardieu), maire vieillissant de Marseille, et son dauphin, le jeune et ambitieux Lucas Barres (Magimel). D’abord amis, Barres se posera très vite comme rival de Robert Taro. Sur fond de barons de la drogue, de politiques et de syndicats, la lutte de pouvoir de ces deux hommes pour le contrôle de la mairie sera le centre de la série.

marseille magimel
« Contrairement aux apparences je ne suis pas un bœuf mort. »

Déjà on touche le problème, et je rappelle qu’ici il s’agit d’une critique de pilote, ce qui je l’accorde est assez hasardeux quand on parle de Netflix, donc ne venez pas me dire « mais oui c’est expliqué après », j’espère bien. Le retournement de veste du jeune Magimel n’est pas crédible un seul instant. Et ça tient à un truc. Le personnage de Depardieu est sympa. Agréable avec son dauphin, l’accueillant chez lui, comme un fils, le personnage de Magimel semble très proche de la petite famille formée par la femme de Robert, Rachel (Géraldine Pailhas) et sa fille, Julia (Stéphane Caillard). Ainsi le retournement de situation en toute fin d’épisode est tellement téléphoné que les parents d’E.T. risquent d’arriver pour enlever Lucas Barres.

Prenons l’exemple d’une autre série Netflix, avec un politicien, et un retournement de veste. À oui vous la sentiez venir la comparaison avec House of Cards. Mais désolé, ce n’est pas ma faute si Netflix a choisi une série politique pour ses débuts en France. Donc Underwood est, au début de la série, fidèle au Président, car celui-ci lui avait promis un poste. Mais il ne lui donne pas, ce qui enclenche la trahison de Underwood, et toute l’intrigue. Là Magimel est non seulement le dauphin du maire de Marseille, qui le traite avec respect, mais EN PLUS il est en voie de gagner la mairie lors des prochaines élections. Pourquoi le trahir maintenant ? Les clés de la ville sont à quelques centimètres. J’ose espérer que ça sera expliqué dans la suite de la série. Mais pour l’instant Magimel fait figure de salaud, car il fallait bien un salaud.

marseille
« Bonjour, je suis méchant, et y’a même le masque pour symboliser mon double jeu »

Si encore il n’y avait que ça. Donc Marseille se place en série de luxe, un drama de qualité, censé être la marque de Netflix. Après visionnage du pilote, j’imagine donc la réunion de production suivante, attention petit théâtre de l’absurde incoming :

FRANCK

Bon les gars, Netflix nous a confié les rênes de leur série française, on ne doit pas déconner, on doit présenter un truc classe, pas un téléfilm de l’aprèm’ sur M6, on est des pros ici. Qu’est-ce qui marche aux United States of America ?

EMILIO-SIRI

Bah du coup House of Cards, c’est de Netflix aussi ça ? On pourrait faire une série politique. Sur Marseille, tout le monde parle de Marseille, on dirait presque Hell’s Kitchen.

FRANCK

Bien mon gars et qu’est-ce qui marche dans House of Cards ?

EMILIO-SIRI

Bah les retournements de vestes ! Et puis le fait qu’Underwood il soit MÉCHANT tu vois.

FRANCK

Donc on prend ça [NdlR : en oubliant totalement que le personnage d’Underwood n’est pas méchant, pour être méchant, mais bel et bien manipulateur et machiavélique pour servir ses intérêts]. Quoi d’autre ?

EMILIO-SIRI

Le sexe ! Game of Thrones y’a du sexe ! Puis dans House of Cards Underwood il a une sexualité bizarre. Puis dans Sense8 chez Netflix y’a du cul avec des homosexuels, ça vend bien.

FRANCK

Très bien tu me fous du cul, avec deux lesbiennes [NdlR : pour introduire un personnage on a connu mieux que : »Ahah tu es si rigolote tu couches avec tout le monde ». Du coup on n’a même pas son nom, ni qui elle est, à part l’amie de Julia Taro], et puis il faut que le personnage de salaud ait une relation sexuelle un peu bizarre [NdlR : voir ce tweet, déjà culte. On atteint un niveau de gène assez élevé, surtout quand on note que Magimel couche avec la Présidente du Conseil Général, en pensant à Depardieu, c’est très perturbant, en plus d’être vulgaire]. Les gens aiment bien les méchants, comme dans Breaking Bad, alors on va centrer l’intrigue sur le méchant [NdlR : en omettant que Walter White n’est PUTAINEMENT PAS MÉCHANT à la base, ni un salaud.]

EMILIO-SIRI

Comme ça se passe à Marseille du coup on pourrait faire un peu comme Plus Belle la Vie tu vois, avec des personnages, qui se connaissent tous, et des relations complexes, et des retournements de situation et tout tu vois ? [NdlR : sauf que Plus Belle la Vie doit tenir en haleine des spectateurs sur 5 épisodes par semaine. Dans une série de ce format, il est important de s’en tenir à une poignée de personnages, qui interagissent ensemble, et d’éviter au maximum les retournements qui sortent de nulle part]

FIN.

Donc voilà ce qu’on a en regardant Marseille, au-delà d’une immense sensation de gêne lors de certaines scènes. Mention spéciale à l’intégralité des scènes de la fille de Taro, et de cette tentative de viol absolument, suprêmement, et magnifiquement PAS amenée du tout. La fille de Taro semblant assez étrangement prendre le rôle de Kate Mara dans la saison 1 d’House of Cards, flirtant avec le personnage de Magimel. Le fait que l’actrice joue très mal n’aide pas. J’ai digressé. Pardonnez-moi. Donc Marseille semble écrite comme une espèce d’imitation de tous les succès de Netflix, et de la télé américaine de ces dernières années. Un petit peu comme si Franck et Emilio-Siri, plutôt que de prendre ce qui fait la spécificité du cinéma et de la télé française, avaient décidé de ne pas prendre de risque et de mimer House of Cards et compagnie. Ce qui est idiot ! Une série comme Narcos, co-produite entre l’Argentine et les USA, a gardé une certaine spécificité de son pays d’origine, et ce fut un carton.

marseille
« Bonjour, je ressemble à Eliott de Mr Robot, mais je suis un violeur en vrai »

On peut également lever un sourcil devant certains personnages. J’ai déjà parlé de la fille de Robert Taro, mais son petit ami/ami/frère pour elle, est pas mal dans le genre. En plus de la scène de tentative de viol entre les deux personnages que j’ai évoqué plus haut, leur « explication » peu après est réellement perturbante. Avec cette réplique de Stéphane Caillard, même pas foutue de prononcer correctement « Tu es comme un frère pour moi », qui donne « Tu es comme une frère pour moi ». À se demander ce que faisait le réalisateur de l’épisode pendant ce temps. Depardieu lui est très bon, comme d’habitude, peu importe son taux d’alcoolémie, ou d’impopularité, ce type jouera toujours parfaitement pour moi. Sa femme, incarnée par Géraldine Pailhas est honnête, quoi qu’un peu étrange. Et maintenant, parlons de Magimel. C’est non. Non à sa vague approximation à géométrie variable d’accent marseillais, non à ses mimiques, non à son air de méchant, très méchant agrougrou, non à son regard tantôt bovin, tantôt psychotique, non, non, et non. Que dire du reste du casting : la petite frappe des quartiers étant à la limite du stéréotype, et les autres plus plats que la campagne de la Beauce.

Après rendons quelque peu honneur aux acteurs. Aussi mauvais soient-ils, ils doivent composer avec des dialogues pour le moins surréalistes. Plus haut j’ai imaginé un dialogue entre les deux producteurs. Et bah le souci est le même. Essayer d’imiter, maladroitement, certains dialogues crus de séries américaines. En oubliant que si Tony Soprano dit « Fuck » toutes les 15 secondes, ses dialogues sont construits, et révèlent des choses sur son personnage. Là on a juste des dialogues à la limite du vulgaire et du beauf. Des choses comme ce dialogue entre Depardieu et sa fille :

– J’aime quand tes copines baisent beaucoup.
– À oui ? Pourquoi ?
– Car quand elles baisent tu viens.

Oui on atteint des niveaux de poésie assez magiques. Et des dialogues étranges, déplacés, ou tout simplement stupides, il y en a au moins un par scènes.

marseille depardieu magimel
« Oh non il m’a trahit, me voilà bien embêté »

Point assez positif la réalisation est léchée. Les images de Marseille (la ville) sont très belles, la beauté de la ville aidant assez. Même si parfois il y a certains effets de style qui m’échappent un petit peu, des ralentis bizarres, ou des focus hasardeux. Encore une fois on est dans cette imitation de l’image des séries de « luxe » à l’américaine. Mais bon c’est souvent joli donc ça passe.

Je pourrais également évoquer le sexisme profond de la série, allant de la victime d’une tentative caractérisée de viol, qui dix minutes plus tard se fait raccompagner chez elle, sans problèmes, par son agresseur, jusqu’au fait que dans ce pilote on ait 5 (6 en comptant la partenaire de la copine de la fille de Taro) personnages féminins : 2 baisent, une se fait tuer, une se fait agresser sexuellement et la dernière « Aime les vieux car ils baisent mieux ». D’autres personnes le feront beaucoup mieux que moi, mais au moins ça fait passer Game of Thrones pour une série profondément féministe.

Donc Marseille est un échec. Certainement pas aussi épique que le laisse entendre certaines critiques (quoi qu’elles se basent sur l’intégralité de la saison), mais un échec tout de même. Il est totalement regrettable que Franck et Emilio-Siri se soient contentés d’imiter, maladroitement, d’autres séries de Netflix, plutôt que de tenter de créer quelque chose d’original et de réellement français. On a déjà vu ça mille fois, et mille fois mieux, et la télé française, et Netflix, mérite mieux qu’un remachage fade et sans saveur d’une bouillabaisse composée d’House of Cards, Plus Belle la Vie, et d’autres trucs qui ne vont pas ensemble. Dommage. En espérant que ça ne décourage pas Netflix de nous proposer des choses réalisées ici à l’avenir.

Tritri

Râleur, bercé trop près de la bibliothèque de SF, et le pire cauchemar de mes collègues quand vient le moment de corriger mes articles. La seule chose à retenir c'est que j'ai raison, mais vous ne le savez pas encore.

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